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Miro et Matisse, un même désir de dépassement visible dans une exposition

On savait que Miro (1893-1983) avait été proche de Picasso (1881-1973), mais sa relation avec Matisse (1869-1954) est moins connue. Henri Matisse est son aîné de près d’un quart de siècle. Quand éclate en 1905 le scandale de la « cage aux fauves », au Salon d’automne de Paris, qui va donner à Matisse sa première notoriété lorsque les critiques sont scandalisés par ses peintures et celles de ses collègues, Joan Miro a à peine 12 ans et vit en Catalogne. Il faut attendre 1920 pour que les deux peintres soient accrochés ensemble dans une exposition collective, à la galerie Dalmau de Barcelone, et leur première rencontre physique n’a lieu qu’en 1936, le jeune venant visiter son aîné à l’atelier.
Ils ont cependant entretenu des rapports amicaux et constructifs depuis la découverte par Miro, en 1917, lors d’une exposition d’art français organisée par le marchand parisien Ambroise Vollard à Barcelone, du fauvisme initié par Matisse. La peinture du Catalan eut aussi une influence stimulante sur celle du peintre français au moment où, empêtré, durant les années 1930, dans ce que l’on a nommé sa « période niçoise », il cherchait une nouvelle voie. Miro, qui pouvait avoir la dent dure, disait mépriser la peinture que produit à ce moment son aîné, tout en confessant « une admiration sans borne » pour sa période fauve.
Cela jusqu’en 1930 : Matisse cesse de peindre et part se ressourcer aux Etats-Unis, où vit son fils Pierre, devenu marchand de tableaux, puis à Tahiti. Miro, lui, fait ses débuts à New York, chez Pierre Matisse justement. Celui-ci s’occupe de sa carrière américaine, son homologue Pierre Loeb le représente à Paris. C’est chez ce dernier, en 1934, que Matisse découvre la production récente de Miro, qui le frappe. On est au moment précis où Miro parle d’« assassiner la peinture ».
Matisse lui-même, après avoir travaillé à la grande décoration de La Danse pour la fondation du docteur Barnes, se sent toujours dans une impasse. Au point qu’il a cette démarche étonnante d’humilité de demander à son fils de lui prêter deux Miro de son stock pour les étudier à loisir et, surtout, il lui écrit, à propos de ses dernières toiles : « Je serais bien content que quelqu’un assez versé dans l’emploi des couleurs vives me donne son impression. Pourquoi ne les montres-tu pas à Miro ? »
Des années plus tard, dans Henri Matisse, roman, publié en 1971 chez Gallimard (Matisse est mort en 1954), Louis Aragon cite cette réflexion de l’artiste, recueillie durant la guerre : « Nous parlions des peintres contemporains, et je lui avais demandé qui il tenait, Picasso mis à part, pour un peintre véritable. Il avait prononcé le nom de Bonnard (…), puis il dit : “Miro… Oui, Miro… parce qu’il peut bien représenter n’importe quoi sur sa toile… mais si en un certain point il a placé une tache rouge, vous pouvez être assuré que c’était là, et pas ailleurs qu’elle devait être… enlevez-la, le tableau tombe.” »
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